05.03.2024
Cette journée d’étude propose de mettre en discussion le partage de l’eau au croisement des pratiques de designers·euses, artistes, aménageurs, scientifiques et activistes invité·e·s.
Organisation et direction scientifique : Jean-Sébastien Poncet et Nathalie Elemento
Les chaleurs extrêmes des étés 2022 et 2023, ainsi que leurs effets dévastateurs (sécheresses, méga-feux, disparition des glaciers, fonte de la banquise…) ont sonné comme un signal d’alarme sur l’emballement du dérèglement climatique. L’eau se fait rare et des problématiques encore confidentielles il y a quelques années occupent aujourd’hui une part de plus en plus importante de l’espace médiatique.
Comment partager équitablement les accès à l’eau ? Quelles valeurs donner aux zones humides ? Comment et pourquoi désimperméabiliser les sols artificiels ? Que faire pour ralentir le cycle de l’eau ? Ces questions traversent l’ensemble de la société civile, des aménageurs et concepteurs urbains dont les pratiques sont remises en cause, notamment par la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette), aux militants écologistes dont l’opposition au modèle productiviste de l’agriculture s’est récemment cristallisée autour des méga-bassines, jusqu’à la volonté gouvernementale de dissoudre le collectif écologiste Les Soulèvements de la terre.
Réunissant artistes, designers·euses, curateurs·rices, paysagistes, urbanistes, acteurs·rices institutionnel·les et militant·es, cette journée d’étude sera organisée en trois tableaux. Espaces de discussion thématiques, ils proposent aux participants d’engager leur pratique et leur réflexion autour d’une question :
- #1. Les petits ruisseaux font-ils les grandes rivières ? les cycles de l’eau à l’échelle des relations ville-territoire
- #2. La ville est-elle une éponge comme les autres ? Les sols urbains à l’interface du partage des eaux
- #3. Infiltration ou ruissellement ? l’eau commune – enjeux éthiques, sociopolitiques et poétiques du partage des eaux
Consultez le programme complet de la journée
Informations pratiques et inscriptions
📅 Mardi 5 mars 2024
🏛️ ENSA Dijon
📍 3 rue Michelet, 21000 Dijon
🕕 de 10h00 à 17h00
🎫 Journée d’études gratuite, ouverte à tous. Réservation obligatoire, en utilisant ce formulaire
PROGRAMME
10h00 : Accueil / Introduction
10h30 – 12h00 : Tableau #1
Bassins versants : les cycles de l’eau à l’échelle du territoire
En définissant les limites géographiques des bassins versants, les « lignes de partage des eaux », ces aires de récolement des fleuves, ont orienté la constitution des sociétés humaines. Or, cette connexion entre périmètres humains et non-humains est actuellement remise en question par l’intensification des phénomènes d’inondation. Selon l’interprétation courante, l’espace semble manquer, ou bien les choses ne sont pas ou ne sont plus à leur place. Quand l’eau monte et détruit des habitations, on dit que le fleuve est sorti de son lit — qu’il n’est pas à sa place —, ou bien que les bâtiments ont été construits au mauvais endroit. Mais on pourrait aussi avancer que s’exprime ici un conflit d’usage pour un même espace entre le fleuve qui parfois a besoin de s’étendre périodiquement et l’habitat humain qui a besoin de garantir à ses occupants de rester au sec.
En quoi cette réflexion en termes d’usage pourrait-elle nous aider à resynchroniser périmètres humains et non-humains ? Comment désanthropocentrer sa lecture ? De quelles façons enfin, si l’on tient compte de ces agentivités non-humaines, peut-on négocier des usages qui ne sont a priori pas exprimés ?
Participant·es :
- Sandrine Petit, géographe, INRAE, Dijon
- Matthieu Duperrex, philosophe, École nationale supérieure d’Architecture de Marseille
- David Moinard, curateur, atelier DELTA, Saint Mélany, Ardèche
Pause déjeuner
14h00 – 15h30 : Tableau #2
La ville est-elle une éponge comme les autres ? Les sols à l’interface du partage des eaux
Des urbanistes et écologues chinois ont élaboré au début des années 2000 le concept de ville éponge ou haimian chengshi. Dans un contexte d’expansion massive et de création de villes nouvelles, il s’agissait de concevoir des modèles d’agglomérations capables d’absorber les eaux pluviales dans le sol et les zones humides afin de réguler les inondations urbaines et d’améliorer leur résilience durant les épisodes de sécheresse. Cette proposition des géo-sciences, que d’aucun pourrait qualifier de techno-solutioniste, met cependant en évidence une préoccupation globalisée pour la consommation des sols par l’urbanisation. Ce phénomène d’artificialisation des sols, qui permet de faire le lien entre les processus de transformation des sols par l’agir humain et ses effets sur leurs fonctions écologiques, se traduit notamment par une diminution voire une oblitération totale des capacités de filtration, de stockage et donc de redistribution biologique de l’eau par et dans les sols.
Ces considérations conduisent les collectivités à limiter l’emprise des projets d’urbanisation, par exemple avec la loi ZAN, mais aussi d’envisager la désimperméabilisation de certains de leurs terrains. Ce dispositif légal prévoit que l’artificialisation des sols devra être compensée par des opérations de renaturation dans des proportions de plus en plus importantes, jusqu’à ce qu’elle soit entièrement compensée en 2050. Or non seulement ce principe général ne va pas sans difficulté d’application dans les collectivités, mais une certaine ambiguïté du terme « artificialisation », comme principe compensatoire, pose par ailleurs question.
Est-il vraiment pertinent de considérer à équité un espace consommé sur des terres agricoles et un espace « renaturé » ? Ont-ils effectivement la même valeur pour être ainsi échangeables ? C’est notamment en anticipant sur cette contrainte que les collectivités entreprennent la désimperméabilisation de certaines de leurs infrastructures. Proposée notamment comme une réponse à la formation des îlots de chaleur, on trouve ces opérations notamment dans les projets de rénovation des bâtiments publics : cours d’école, complexes administratifs, équipements culturels…
Cet aménagement par enlèvement de matière peut-il s’envisager comme une opportunité pour un renouvellement « soustractif » des écritures urbaines ? Que faire cependant des matériaux issus du « décroutage » des surfaces imperméables, bétonnées ou bitumineuses ? Est-il possible, et si oui comment, d’inscrire le geste du concepteur dans un processus écologique de formation des sols ?
Participant·es :
- Sylvain Carraud, directeur paysage et espace public, Dijon Métropole
- Patrick Henry, architecte et urbaniste, École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville & pratiques urbaines.
- Vincent Mayot, Mayot & Toussaint paysagistes concepteurs Dijon
- Thierry Boutonnier, artiste arboriculteur, Lyon
15h30 – 17h00 : Tableau #3
Infiltration ou ruissellement ? Enjeux éthiques, sociaux-politiques et poétiques du partage des eaux
Lors d’une émission radiophonique (« La terre au carré », France Inter, 23 novembre 2021), Éric Lenoir, auteur d’un Petit traité de jardinage punk (2018), invitait les auditrices et les auditeurs à favoriser le stockage de l’eau dans les sols : une terre vivante, couverte d’humus, permet à l’eau de s’infiltrer, là où une terre laissée nue favorise le ruissellement et le lessivage. Cette opposition entre « ruissellement » et « infiltration » entre en résonance avec la doctrine économique du « ruissellement » — selon laquelle une politique (fiscale) en faveur des hauts revenus profiterait à toute l’économie. Maintes fois démontrés par les économistes, les illusions de cette doctrine et leurs effets destructeurs font écho à une conception admise de l’eau comme ressource, c’est-à-dire capital stockable et accumulable, que les conflits autour des méga-bassines ont mis en lumière récemment. Or, cette vision immobiliste se révèle incompatible avec la mise en circulation de l’eau dans le flux du vivant.
Dans cette perspective, favoriser l’infiltration en confiant à un tiers non-humain son contrôle, autrement dit laisser le sol effectuer le travail de redistribution, ne permettrait-il pas un partage de l’eau plus compatible avec les enjeux de justice environnementale ? Comment l’art et le design s’infiltrent-ils dans ces domaines ? En quoi transformer les représentations de l’eau, lui donner corps et histoire, activent un partage sensible de sa présence ?
Participant·es :
- Laure Abramowitch, avocate, Dijon
- Clémentine Legendre, designeuse, Dijon
- Marine Hunot, designer, ACADE design à la campagne, Semur-en-Auxois.
- Clémence Althabegoïty, designeuse-plasticienne, Paris.
Infiltrations sensibles