Art & Design

ENSA Dijon

30.01.2014 → 15.02.2014

Exposition

Marteau, Crayon, Pinceau

De 14h à 19h • Appartement / galerie Interface

Avec Jad Amalou, Axel Roy et Timothé Defives

Ce qui traverse ces œuvres d’étudiants de 5e année à l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon, présentées, à la galerie Interface, c’est la méticulosité avec laquelle elles ont été construites. Durant leur processus de création il y a eu, pour chacune d’elles, un long temps d’élaboration où l’endurance de celui qui fabrique a été mise à l’épreuve.

Jad Amalou a récupéré un lot de barres en fer, usagées, tordues, enserrées dans le béton; elles gisaient dans une démolition. Avec un marteau il les a redressées, soignées, une par une, elles sont redevenues rectilignes. Il les a déposées ensuite dans la galerie en les accompagnant de photographies prises dans leur état initial. Le déplacement depuis le monde du travail vers le monde de l’art, donne à ces barres un nouveau statut qui n’est pas provoqué par une simple action de déplacement. Puisque la forme, ici, exige un certain contenu et en exclut d’autres, on imagine que l’artiste a voulu réitérer des gestes du monde du travail. Pourtant cette action produite au marteau, comme l’étal numéroté des barres mises au sol, dans la galerie, ne viennent pas faire l’apologie du travailleur.
Max Weber dans l’Ethique Protestante et l’Esprit du Capitalisme rappelait la signification nouvelle que Luther donnait au terme de Beruf dans sa traduction de la Bible. Le mot Beruf, signifiant originellement « vocation », peut prendre également le sens de « métier », soit une tâche voulue par Dieu. Max Weber pense que le concept de Beruf, réhabilite ainsi la vie laïque et fait du travail une valeur qui sera récompensée par l’accès au paradis. Ici tout se passe comme si Jad Amalou, voulait accéder à l’art en faisant un travail de pensée, loin des quolibets sur l’inutilité de l’art.

Axel Roy a entrepris depuis bientôt trois ans une représentation originale de passants, dans les rues du monde contemporain. Ce projet s’initie d’abord dans le domaine public où se croisent les figures anonymes des gens qui vont et qui viennent, apparemment sans but précis. Vient se construire ensuite le travail, par un jeu de passages entre photographie, dessin et peinture. C’est une longue et patiente tâche de transposition qui s’engage, depuis la source photographique, par le dessin, menant un dégradé des valeurs, du gris au noir, du noir au blanc… Si le travail de Jad Amalou fait mal au bras, celui d’Axel Roy met les doigts de l’artiste à rude épreuve, pour que puisse apparaître un modelage des valeurs à l’aide du crayon gras. Selon un protocole désormais bien rôdé, Axel Roy redessine lentement des photographies de passants, prises à leur insu, faisant appel à l’instantanéité de la prise de vue en rafales, pour créer du hasard mais aussi révéler des hexis corporelles et sociales (pour reprendre la terminologie de Pierre Bourdieu). Cet étonnant portrait de groupes et d’individus ne recherche ni singularités des espaces, ni psychologies des individus. Axel Roy vient creuser des espaces vides entre les gens anonymes évoluant dans les architectures et les espaces sociaux.
Par la transposition au graphite, les gens saisis dans leur marche, sont comme statufiés dans un lieu invisible. Cette découpe les met hors du temps et d’un espace qui figurait dans les images photographiques de départ. Axel Roy scénographie, dans une sorte de vide des « inter présences » et révèle ce faisant des gestes, façonnés par nos modes de vie. Cette étrange chorégraphie révèle combien les modes de production sont déterminants dans les comportements humains : marketing vestimentaire, technologies des objets… Ainsi en est-il des téléphones mobiles comme prolongements prothétiques de nos mains, induisant des allures généralisables par delà les frontières.
Cette décision d’extraire des anonymes dans un flux, rapproche son travail de celui de l’artiste suisse Beat Streuli. Lui aussi saisit d’abord au vol, par le téléobjectif, des individus ordinaires. Comme des observateurs cachés de la foule solitaire bien décrite par David Riesman, ils réussissent, chacun à leur manière, à universaliser des types humains contemporains, mais aussi produire une sorte d’anatomie visuelle de nos déambulations urbaines.

Timothé Defives évolue dans des références à la nébuleuse de l’art conceptuel des années 1960-70. Dans son travail il assume et contredit une passion qu’il nomme « l’image primitive » que seul le dessin pourrait exprimer. Cet engagement dans une pratique minutieuse, lente, nécessitant silence et solitude, le rapproche des attitudes de Jad Amalou et d’Axel Roy. Par le crayon en graphite, il multiplie des traits similaires, souvent courbes, générant des motifs rythmés, tantôt organiques, tantôt filaires, sur la totalité de la surface. Une totalité est visée, l’aspect final dépendant avant tout du « remplissage » du support. On sent que Timothé Defives veut désamorcer tout enfermement dans un style ou une esthétique de l’image et de la représentation. Aujourd’hui il invite d’autres personnes à collaborer, dans cet emploi assez radical du crayon au graphite et selon des automatismes gestuels de production. Courbes, valeurs et aplats sont des formes récurrentes qui se manifestent à l’issue d’un processus pensé comme mise en cause de la volonté très occidentale de progrès et de perfection. Un contenu minimal est recherché, sans figuration, métaphorisant l’idée d’une production brute et désintéressée même si nous savons bien que cela est impossible. Cette quête d’un dépassement des supports contraignants – feuille de papier, cadre du tableau – justifient les logiques de all-over et l’investissement plus récent dans l‘invitation faite à autrui à participer sous l’injonction du « statement » rédigé par l’artiste, comme dans la pièce intitulée « Environ 4,33 m2 de silence » Aucune démarche d’esthétique relationnelle ici, mais au contraire un recours au partage de l’expérience corporelle et mentale, par un protocole très contraignant, consistant à réitérer un motif de dessin au crayon et dans un temps nécessaire de plusieurs heures. Timothé Defives écrit : « Il s’agit d’un événement de dessin écrit pour quatre collaborateurs… Chacun des participants à l’expérience, dès lors qu’il décide d’y prendre part, se résout à refuser tout lien avec l’extérieur, toute nourriture terrestre, tout contact physique et, surtout, à n’émettre aucun son, au maxima que son corps permet.. ». Timothé Defives avance encore ceci « il s’agit là de poser les bases d’une pratique artistique dont le thème principal serait un certain rapport ascétique au monde de l’art… ». Cela me fait penser à la kénose, promue par certains des premiers théologiens chrétiens : faire le vide en soi. Pour les théologiens qui la défendaient cela ramenait indirectement au fait que Dieu se dépouillait, par Jésus, de certains attributs de sa divinité. Le travail de Timothé Defives recourt à l’autorité de l’injonction performative provoquée par la forme du « statement » mais au nom de quelle divinité ? Cet ascétisme et ce retrait produisent en fin de compte un gain formel et esthétique, dont je pense qu’il est subtilement amené. Il n’est que de regarder l’accrochage de la pièce Daedalus qui fait penser à une frise décorative courant sur un mur de la galerie.

Ces trois jeunes artistes ont choisi de travailler avec des objets aussi simples qu’un marteau, un crayon, un pinceau. Un désir d’autonomie se devine par l’économie des moyens et les ressources techniques utilisées. Alors qu’on observe chez Timothé Defives une influence de l’art conceptuel dans son désir d’abandon de la représentation comme d’un contenu métaphorique de l’œuvre, chez Jad Amalou et Axel Roy ces contenus restent présents et assumés.

Cette exposition est une invitation faite aux étudiants de l’ENSA Dijon – sur une proposition de Robert Milin, artiste et professeur à l’ENSA Dijon

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